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Renforcer la Redevabilité dans le Secteur Forestier

Les experts font part de leurs points de vue sur ce que devraient être les axes prioritaires de la réforme pour améliorer la redevabilité du secteur forestier au Cameroun, au Ghana et ailleurs.

Alison Hoare, David Young, Thiago Uehara, Mustapha Kaluwe Seidu, Gene Birikorang, Laurence Wete Soh and Justin Kamga Kamga, 16 December 2020

D'importants efforts ont été déployés, ces vingt dernières années, pour accroître la transparence et la participation des acteurs non étatiques dans le secteur forestier. Un rapport de recherche récemment publié passe en revue des études de cas au Cameroun et au Ghana, afin d'évaluer l'impact qu'ont eu les récentes améliorations de la transparence et de la participation sur la redevabilité. Il révèle des processus de changement complexes, qui ont impliqué de multiples voies étroitement liées.

Il s'avère, cependant, qu'une plus grande transparence et une participation significative ont joué un rôle dans le renforcement de la redevabilité, tant au niveau du gouvernement que du secteur privé. Certains éléments indiquent en outre que ces changements ont une incidence positive sur la gestion du secteur forestier.

Dans ces deux pays, des réformes supplémentaires sont néanmoins nécessaires pour exploiter et consolider les progrès accomplis, dont certains sont fragiles. Les auteurs du rapport de recherche s'interrogent sur les enseignements tirés et sur les possibles étapes suivantes pour mener de nouvelles réformes.

Cadres juridiques et institutionnels

Ces cadres, qui définissent les exigences en matière de transparence et offrent aux parties prenantes des possibilités de s'impliquer dans les processus de gouvernance, constituent une base importante pour pouvoir exiger une redevabilité.

Laurence Wete Soh: Bien que le Cameroun ait adopté en 2018 un Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques, il n’existe pas encore de cadre juridique organisant spécifiquement la transparence et la participation sur les questions environnementales et forestières. L’adoption d’une telle loi aurait un impact considérable sur la redevabilité des acteurs dans ces secteurs. Le cadre juridique devrait également être assorti de moyens institutionnels et de mécanismes opérationnels auxquels les citoyens pourraient avoir recours en cas de manquements ou d’insuffisances des acteurs concernés.

Justin Kamga Kamga: L'amélioration de la redevabilité dans le secteur forestier passe par l'existence d'un cadre juridique régissant la participation des parties prenantes dans la gestion des ressources forestières. Un élément fondamental qui pourrait accroître la redevabilité serait de mettre en place un mécanisme visant à protéger les acteurs non étatiques impliqués dans la dénonciation contre les représailles des administrations ou des lobbyistes qui tirent profit de la mauvaise gouvernance.

Implication des citoyens

Bien que les citoyens puissent être très motivés par une implication dans la gouvernance forestière, il leur faut pour cela posséder les compétences et les connaissances appropriées. Le renforcement des capacités doit donc constituer un point important des travaux de réforme.

Laurence Wete Soh: Dans un contexte où l’administration n’a pas légalement l’obligation de rendre des comptes aux usagers, la prise de conscience, par les citoyens, de la légitimité de leur participation à la gestion des forêts induit un engagement à contribuer activement à la qualité de la gouvernance dans ce secteur.

Justin Kamga Kamga: La crédibilité des acteurs non étatiques impliqués dans le processus d'amélioration de la gouvernance et du renforcement de l'application des lois est fonction de la qualité de leur participation. Pour instaurer un changement, il faudra combler les insuffisances de l’administration en matière de lutte contre les activités illégales. L'efficacité de la participation d'un acteur repose également sur sa capacité à interagir avec les autres acteurs pour faire pression.

David Young: Tout en répondant à la demande en faveur d’un meilleur accès à l'information et aux prises de décisions, la société civile doit également développer les capacités à utiliser les informations en sa possession. Par exemple, l'accès à des informations essentielles contenues dans la base de données de suivi du bois du Ghana offre la possibilité d'effectuer une analyse approfondie de qualité, en particulier si elle est corrélée à un travail indépendant de surveillance des forêts qui montre les améliorations apportées et les problèmes systémiques qui persistent. La société civile doit être prête à travailler en ce sens et a besoin d'un soutien durable des bailleurs de fonds pour oser investir dans les compétences requises.

Thiago Uehara: En présence d'une meilleure éducation et d'une participation accrue des citoyens, on pourrait se demander comment et quand l'État pourrait développer et renforcer ses capacités de surveillance de manière complémentaire à celles adoptées par les organisations de la société civile et par les bailleurs de fonds internationaux. Une fois encore, cependant, il est important d'observer qui sont les personnes autorisées à participer à l'élaboration des politiques et aux décisions concernant la gouvernance forestière. D'un point de vue égalitaire, il serait inquiétant de constater que seuls la bourgeoisie internationalisée et les hommes figurant parmi l'élite locale possèdent cette autorisation dans les cadres « participatifs ». La participation symbolique doit laisser la place à des systèmes qui encouragent les principes de souveraineté du peuple, d'inclusion et d'égalité dans des cadres de transparence et de redevabilité.

Participation

La participation ne doit pas se limiter à une simple consultation et, le cas échéant, devrait permettre des prises de décisions et un partage des pouvoirs et des responsabilités.

Gene Birikorang: Le paradigme des avocats exerçant un monopole sur l'élaboration des textes de loi doit évoluer vers une implication des organisations de la société civile et des communautés durant les phases initiales et finales des processus juridiques. L'exercice « déguisé » du pouvoir discrétionnaire par l'État, qui va à l'encontre des intérêts des communautés, constitue une menace pour la protection durable des communautés forestières. Qui plus est, le phénomène de captation de l'État, caractérisé par l'organisme de réglementation des forêts qui comprend toutes les fonctions des services forestiers, doit être rompu. Le rôle de la surveillance des forêts devra donc être confié à la société civile, et non plus à l'État.

Thiago Uehara: En dépit d'éléments faisant état d'une amélioration des mécanismes de participation et de transparence, il est évident que les populations qui vivent dans les forêts tropicales et aux alentours n'ont pas bénéficié de manière équitable des avantages résultant d'un système mondial d'exploitation des forêts. Une participation accrue des citoyens et une meilleure compréhension de la répartition des avantages entre les sexes, les groupes ethniques, les générations et les pays, pourraient créer les conditions nécessaires pour permettre aux citoyens de remettre en question les coutumes et les règles établies. Par exemple, on pourrait se demander pourquoi les décideurs ont fixé à seulement cinq pour cent la part des droits de coupe revenant aux communautés au Ghana, alors que les grandes sociétés jouissent d'avantages bien plus importants et transfèrent souvent leurs bénéfices vers des pays autres que le pays producteur.

Comprendre et gérer le changement

Pour instaurer un changement solide et durable, il est indispensable de bien comprendre l'économie politique. Une bonne gestion du changement revêt également une importance capitale.

David Young: En dépit d'une hausse importante du nombre de preuves montrant des défaillances en matière de gouvernance et faisant état d'activités illégales, certains problèmes de redevabilité ne sont toujours pas résolus. Cela m’amène à penser que nous devons nous concentrer davantage sur l'économie politique du secteur : qu'est-ce qui pousse un gouvernement ou une autorité forestière à se montrer franchement ouverts à des réformes à un moment donné, puis tout aussi intraitable, voire prêts à saper l'espace civique, l'instant d'après ?

Justin Kamga Kamga: Il est important de favoriser l'implication des autres ministères sectoriels, en mettant en exergue leurs intérêts dans le secteur forestier. Par exemple, en montrant à l'administration en charge des finances l'opportunité d'accroître les recettes de l'État ; à l'administration du travail l'opportunité de protéger les droits des travailleurs ; et à l'administration en charge de l'environnement, l'opportunité de mieux préserver l'intégrité de l'environnement.

Mustapha Kaluwe Seidu: La transparence menace le confort des personnes à qui l'on demande de se montrer transparentes. L'instauration d'une transparence doit par conséquent être un processus multidimensionnel, supposant une gestion des changements de comportements qui implique les membres de l'institution.

Réfléchir aux progrès accomplis et maintenir la pression

Il est nécessaire de prendre le temps de réfléchir aux succès, mais aussi aux échecs, des initiatives de réforme, tandis que les partenaires commerciaux internationaux peuvent jouer un rôle important en faisant pression pour de nouvelles réformes.

Alison Hoare: Il s'est avéré difficile de déterminer l'impact de l'amélioration de la transparence et de la participation sur la redevabilité. Cela s'explique en partie par la complexité des processus de changement, mais aussi par les opportunités limitées de réflexion sur ces changements. Une plus grande attention doit donc être portée à la documentation et à l'analyse des processus de réforme, afin de pouvoir les améliorer et les exploiter plus efficacement.

Mustapha Kaluwe Seidu: La société civile doit rester ce qu'elle est, et ne pas devenir les chiens de garde des institutions étatiques. Utilisons nos liens avec les blocs commerciaux d'Europe et d'Amérique du Nord pour exercer davantage de pressions afin de faire évoluer la gouvernance des ressources naturelles et les méthodes de production.

Pour de plus amples informations, consultez le rapport de recherche de Chatham House intitulé Forest Sector Accountability in Cameroon and Ghana: Exploring the Impact of Transparency and Participation (La redevabilité du secteur forestier au Cameroun et au Ghana : étude de l'impact de la transparence et de la participation).

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